Mon douar porte bien son nom, un nom piquant, fort, qui ne laisse point indifférent, un nom que ses habitants, en fonction de leur sens de l’humour, aiment ou détestent, un nom amenant le sourire et le rictus, un nom évocateur, un nom à coucher dehors. En effet, « Oued El Aâr », traduit, signifie « Rivière du déshonneur ».
Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que ce lieu au relief escarpé – où on ne peut que monter ou descendre et où le plat n’existe pas – prenne un nom aussi agressif, aussi significatif ?
Les tentatives d’explications, aussi absurdes les unes que les autres, sont légion : actes contraires à la morale, us et coutumes peu orthodoxes des habitants, trahisons plurielles…
Mon douar, pourtant, est l’une des rares régions qui résiste encore à l’hégémonie de la monoculture céréalière. C’est ici et là, dans mon douar, à Oued El Aâr, que vous trouverez les plantes dites aromatiques : menthe, thym, armoise, origan… Le calycotome, le diss, la cisale, l’ortie, l’asphodèle et l’aubépine… font partie du décor. Cardes, champignons, sauges aux fleurs bleues dont on aime, avec les abeilles, sucer le suc et autres plantes comestibles sont là pour régaler les promeneurs friands de produits réellement bios. Bios sont également les belles fleurs sauvages : marguerites, boutons d’or, coquelicots, narcisses….
Pragmatiques, les Oued El Aâriens ont planté dans leurs jardins et vergers surtout des arbres fruitiers : figuiers, chênes, grenadiers, vignes, pruniers, azeroliers. Les haies sont en ajonc, en myrte et en orme champêtre.
Dans mon douar, à Oued El Aâr, il n’y a point de routes. Que des pistes. La faune y est plus à l’abri qu’ailleurs. Les sangliers, les chacals, les renards, les lièvres, les pigeons y sont chez eux. On y va pour écouter roucouler les ramiers, pépier les moineaux, jacasser les pies, ululer chouettes et hiboux, coasser et croasser grenouilles et corbeaux, chanter les cigales pendant que travaillent les fourmis. C’est dans mon Douar, à Oued El Aâr, que les cigognes sont, loin des poteaux électriques, plus en sécurité. Et c’est là que l’aigle règne, sans être dérangé, en maître des lieux. Il faut dire aussi que l’endroit pullule de rampants : lézards indiscrets, dangereuses vipères, inoffensives couleuvres… Dans les eaux de Oued El Aâr, quand il y en a, les poissons sont en sécurité, la pêche, j’ignore pourquoi, étant une activité inexistante.
Tout cela existe dans mon douar, à Oued El Aâr, un peu moins à Maïda et à Zouabi qui subissent avec plus d’agressivité les méfaits de l’actuelle civilisation. Ces trois endroits, ces trois paradis, de par ce qu’ils recèlent, méritent d’être protégés et érigés en parc national. Mais, il est peut être déjà trop tard. Malgré tout, lançons un appel dans le désert, il sera peut être entendu par … les sauveurs.
KHEMICI ABDERRAHMANE
kemabder@yahoo.fr