La Dépêche de Constantine a rapporté dans son édition du 7 juin 1922 les prouesses de la troupe «Ennajah», une troupe théâtrale qui s’est illustrée grâce à ses comédiens. Quand vous rencontrez quelqu’un de Aïn Beïda, il vous parlera de sa ville au passé. Il était une fois, Aïn Beïda brillait par ses gens de culture, ses troupes théâtrales, même semi-professionnelles, ses artistes- peintres et tutti quanti…
On parlera du poète Med Laïd Al Khalifa, de l’écrivain Rachid Boudjedra, de l’artiste-peintre Rachid Koreïchi, de feu Abdelouahab Salim, le compositeur. Et d’autres non moins illustres personnages, qui ont marqué l’histoire de leur ville, comme Cheikh Med Saïd Zemmouchi, Hadj Zinaï Belgacem, le père de Hafsa Zinaï Koudil, connue comme écrivaine et scénariste, et d’autres oulémas encore.
Toujours quand on évoque le passé glorieux de la ville, nous avons en mémoire les chouhada de la Révolution, comme Hihi El Mekki, dont un lycée à Constantine porte le nom, Saïdi Djemaï, Hadj Ali Hamdi, Khelaïfia Rebaï, Loucif Mebarka, que Constantine a aussi honorés en baptisant à leur nom une école.
Pour revenir à la culture, la Dépêche de Constantine a rapporté dans son édition du 7 juin 1922 les prouesses de la troupe «Ennajah», une troupe théâtrale qui s’est illustrée grâce à ses comédiens. Ils s’appellent Khelifa Ahmed, Bererhi Chérif, Zemmouchi Med Salah, Berarhi Allaoua et Abderrahmane Boughalem. Ils avaient joué alors la pièce intitulée Dans les ténèbres du château septentrional, une pièce qui a subjugué en son temps le public de la ville.
C’est dire qu’en cette période, bien que sous l’occupation française et malgré les pressions qu’elle exerçait sur le peuple pour l’acculturer, les jeunes se démarquaient de la culture coloniale en présentant des pièces de théâtre en arabe littéraire (fousha). Bien des années après, juste avant le recouvrement de l’indépendance, d’autres jeunes, tous issus du lycée franco-musulman (aujourd’hui Hihi El Mekki, de Constantine) reprenaient le flambeau pour présenter des pièces théâtrales dans la salle Régent, transformée actuellement en théâtre.
Ils ont pour noms Saouli Lazhar, Zouaoui Khennouchi, Saouli Miloud, Mokhtar Amokrane (décédé), et d’autres encore. Tous ont fait carrière dans l’éducation. C’étaient de brillantes étoiles qui avaient illuminé le ciel culturel de la ville. Cheikh Saddek Belkebir, lui, a écrit des pièces burlesques pour la Radio algérienne durant la colonisation.
En ce temps aussi, les grands du théâtre algérien, à l’instar de Mahieddine Bachtarzi et Hassan El Hassanin ont présenté des pièces pour le public beïdi. Le grand El Anka est passé par là pour chanter ses qacidate. Des artistes tunisiens et égyptiens ont foulé les planches de la scène de la salle des fêtes, qui faisait aussi office de théâtre, et avaient enthousiasmé les foules de spectateurs.
La ville comptait trois salles de cinéma
Bien que la population ne dépassait pas les 20 000 âmes durant les années 1950, la ville comptait trois salles de cinéma, projetant trois séances chacune par jour. La salle An Nasr se transformait, l’espace d’un week-end, en ciné-club, où officiait Amara Mohamed, un amoureux du 7e art.
Mais que reste-t-il maintenant de tout cela ? Des souvenirs tenaces que l’on continue à ressasser à l’envi! Pourtant que de jeunes talents végètent à l’ombre de l’oubli, faute d’une reconnaissance de la part de ceux-là mêmes qui sont censés défendre le patrimoine culturel et artistique ! Durant les années 1990, les rideaux sont tombés sur tout ce qui est culturel. L’esthétique et le beau ont déserté les lieux comme chassés par un vent violent. Pour se consoler, les jeunes ont investi les cybercafés et se sont laissé envahir par le virtuel.
Mais voilà que le nouveau siècle promet des changements dans tous les domaines et secteurs. Le phénix va-t-il renaître de ses cendres ? Une nouvelle génération est venue avec plein de projets. Tant pour le théâtre que pour la peinture, elle se prend en charge. Des associations et des coopératives sont fondées par de jeunes et talentueux artistes qui ne cherchent qu’à exprimer leurs revendications, qui à travers une pièce de théâtre, qui par le truchement d’une Toile.
Bouakaz Belgacem, Chebli Rachid et Abdelali Ferhat, dans le théâtre, Yacine Samri et M. Abdellaoui dans la peinture, sont des exemples de jeunes qui se distinguent lors des festivals et des Salons des arts plastiques. A d’autres de suivre le chemin et de mettre un peu de baume dans les cœurs meurtris par le vide culturel hérité de longue date, plus précisément depuis la fameuse décennie noire.
Baâziz Lazhar
El Watan
11/01/2018