J’ai retrouvé dans mes archives cet écrit de Kateb Yacine où il évoque Sedrata, son église, ses habitants et Guidetti le maçon italien qui » s’est égaré » dans notre village. Je m’empresse de le publier.
« LA CANTINE DE SEDRATA : LE DESTIN D’UNE EGLISE…
Jusqu’au Cessez-le-feu, c’était ici l’église où nichaient les cigognes. Le curé n’est plus là, car il ne reste plus à Sedrata, village des Hauts-plateaux entre Ain Beida, Souk Ahras et Guelma, qu’une poignée de paroissiens ayant eu le seul tort d’aimer assez la terre d’Algérie pour l’aimer telle qu’elle est, en bien ou en mal, contre vents et marées, d’où leur isolement dans la masse des Pieds noirs, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient déjà des citoyens de l’Algérie indépendante. Il n’est pas si facile d’être Algérien à part entière, quand on est passé par les bancs de l’église, et qu’il faut vivre désormais en pays socialiste, surtout quand l’islam est religion d’Etat. Mais l’Homme propose… Et le peuple dispose.
Il n’est pas encore dit que Sedrata doive perdre un homme tel que Guidetti, vieux maçon italien, qui parle encore sa langue natale et baragouine le français, ce qui ne l’empêche pas de pratiquer joyeusement tous les jargons du café maure. C’est aujourd’hui l’Aïd. Il joue aux dominos, avec la même furie que le jeune homme qui lui fait face. Près de lui, est assis l’ami Abdelmadjid, en burnous blanc immaculé. Ce burnous des grands jours, à la fois si simple et si imposant, c’est le costume de Jughurta, c’est déjà le Maghreb et c’est encore la Numidie. Hannibal et Abdelmadjid ne s’habillent pas autrement.
Mais ce qui a changé, c’est l’héritier de Rome, à son aise dans un café maure, c’est l’Italien endimanché pour l’Aïd el Kébir. A ce détail, on reconnaît l’Algérie libre : ni le chapeau de Guidetti ni le burnous de Abdelmadjid ne sont indignes du paysage.
Ne suis-je pas encore en train de rêver ? La nuit est tombée. Je suis debout sur un banc, dans l’église pleine de lumière, de rires, de cris Arabo-berbères, à n’en plus douter ! Jamais je n’aurais cru passer l’Aïd el Kébir, dans une église, transformée en cantine scolaire, ni que j’y verrais Hamou Sâadaoui montrer ses marionnettes. »
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Ce beau texte de Kateb prône la tolérance et le vivre ensemble, question toujours d’actualité en ce jour du vendredi 21 décembre 2018. Les « couples » : Guidetti – Abdemadjid, église – islam, chapeau – burnous, Guidetti en dimanché – l’Aïd el Kébir, nous invitent et nous incitent à vivre ensemble dans la concorde et la tolérance quelque soit notre religion, ou notre culture.
Source : CHRONIQUES SEDRATIENNES…
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