Quand je vois Kateb Yacine, l’image de Takfarinas resurgir des décombres de Vitaris (Terreguelet actuellement) puis son attaque contre les remparts Khemissa, défilent dans mon imaginaire. Yacine l’homme de 2000 ans, aimait répéter: Tacfarinas auget vires positisque castris Thubu[r]scum Oppidum circumsidet (Tacfarinas rassembla les troupes et vint assiéger le fort Thubu[r]scum). Correction admise par l’Allemand Karl Niepperdey.
Aujourd’hui, en parlant de cet homme exceptionnel, je n’ai guère l’intention de disserter sur son travail artistique et littéraire, car je n’ai ni la prétention ni la capacité de le faire, encore moins de redire ce qui a été si bien dit par d’autres. Il s’agit tout simplement de rendre un modeste témoignage, plutôt parler d’une admiration profonde pour l’humanisme d’un écrivain ayant sacrifié toute sa vie au service des plus démunis.
Si son nom s’impose chaque 20 août, le jour de sa naissance, ou encore quand revient le 28 octobre de chaque année, le jour de sa mort à Grenoble en 1989 (France), c’est autant par les enseignements et par les souvenirs qui m’habitent parce qu’il fut pour moi tout un privilège de le voir pour la première fois en cette journée de l’année 1973 près du CEG de Sedrata alors que j’avais 11 ans .
Je me rappelle qu’il portait un chapeau de paille enfoui jusqu’aux sourcils et était assis au bord du trottoir …, la grande figure de la littérature algérienne, en bleu de chauffe, assis sur le trottoir (!?) … Je vis donc Kateb cet après-midi. Sa voix coléreuse et le geste saccadé de sa main animaient le coin, alors qu’il discutait avec deux autres personnes.
L’un deux était un enseignant très connu en ville. On l’appelait Si Amar Tlili (décédé en 1998). un champion des documents épigraphiques romains et un défenseur infatigable du site archéologique de Khemissa Takfarinas (Thubursicu Numidarum), à 12 km au nord de Sedrata .
Je passais tranquillement devant le groupe en exhibant la feuille de classement scolaire. Ce fut le jour de la remise des bulletins de l’école, un dépliant bleu sur lequel fut majestueusement insérée , la signature du directeur de l’école de garçons, actuellement Ecole Abid Saïd. Yacine me demanda d’approcher, se leva et prit mon bulletin. Des yeux brillants mais un visage austère qui s’accapara de mon regard au point où j’ai failli trébucher, car je voulais bien situer dans la hiérarchie sociale, cet homme au chapeau de paille par rapport au directeur de l’école de garçons de Sedrata. Mais lorsqu’il vit mes notes sa voix tendre m’enveloppa. Bref, Kateb Yacine mit sa main dans sa poche et fit sortir comme un magicien, un billet de cinq dinars. Je pense c’est tout ce qu’il avait. .
Kateb est l’histoire d’une tribu décimée, d’un patriotisme et d’un combat national et identitaire sans faille. Il est est né le 6 Août 1929 à Constantine. Yacine est le fils de Mohamed Kateb, fils de Salah et de Yasmina Kateb fille de Ahmed. L’inscription sur le registre de l’État civil a été effectué a Condé Semoundou (actuellement Zighoud Youcef 20 km au nord de Constantine) le 26 Août 1929 par Ahmed le grand père maternel …. le père était absent, il effectuait son service militaire.
En effet si Ahmed qui assurait la fonction de Bach Adel dans cette commune, déclara la date du 20 août 1929 comme date de Naissance. Yacine est -il de Constantine ? La réponse est bien entendu, non, car tout simplement la famille se déplaçait souvent, en fonction des affectations d’un père ayant le titre d’ Oukil judiciaire.
Pour comprendre pourquoi le lycéen Kateb Yacine a été arrêté lors des manifestations du 8 Mai 1945 à Sétif et failli être fusillé, il suffit juste de mentionner que sa famille était installée en 1945 a Bougaâ ( Ex-Lafayette). C’est en petite Kabylie que se façonna en quelque sorte, l’éveil identitaire de Kateb Yacine lequel passait son temps a comparer la similitude des modes de vie entre sa propre famille et les familles voisines berbérophones.
Le seul point qui le tracassait réside dans cette langue amazigh disparue ou délaissée soit par contrainte turque après française, soit par trahison dans les temps lointains de la daoula Saadia ou pour éviter les dénominations fantaisistes, il fut un prestige pour certains Cons, de se réclamer arabe.
Saint Augustin, fils de Monica, le disait d’ailleurs, bien avant, en fustigeant Maxime le Grammairien lequel ne cessait de plaisanter sur les patronymes berbères: « Nous sommes tous les deux Africains », disait le fils de Monica.
En vérité ,Yacine fut aussi marqué par la ville de Sedrata (110 km à L’est de Constantine) où on parlait Chaouia avant qu’elle ne s’estompe. C’est sa ville aussi car Yasmina, la mère, rentrait fréquemment « chez elle » la où une partie de la famille vivait . C’est ici que l’enfant Yacine fit son entrée a l’École coranique en 1935 et c’est la où son petit frère Belghith est enterré au cimetière de Sidi Belghith, le saint patron de la contrée( Voir photo « Chagrin de Yasmina » ci-dessus).
Après la mort du père en 1950, Yacine a du prendre en charge sa mère et ses deux sœurs installées plus tard a Sedrata. Aujourd’hui l’une d’elles vit encore à Bir Bouhouch (village natal de Tahar Ouettar) 12 km au sud de Sedrata.
Et dire que Yacine est keblouti aussi, il représente l’histoire douloureuse d’une tribu appelée Kebaltia et dont la localisation nous ramène aux zones orientales de Guelma, a quelques 40 km au nord de Sedrata. La tribu se rattache aux Ghmaitia , sept Maraboutistes berbères qui décidèrent au 14e siècle de quitter la région Aghmat au Maroc pour aller enseigner le Coran.
Dès son installation, le groupe s’effrita. Probablement coincé dans des rivalités tribales survenues dans la région de Khenchela, il aurait connu une fin dramatique. Le seul rescapé fut Keblout, premier qui remonta vers le nord et arriva à Sefiat al Baghrat (la montagne des Vaches) juste devant le mont Assif ou Sefi illi devenu Sfa ali puis Sfahli au sud de Nadhor (Guelma) .
Sefiat Al bagrat cède l’appellation à Kef Sayeh un des ancêtres de Yacine. La déformation toponymique est frappante ici, car le Kef que certains ont tendance a l’orientaliser n’est autre que acaf {car} (falaises difficiles). Le mot Sefia ou Safia vient aussi d’assif comme le mot Mjaz qui n’est autre qu' »amzaz » , très répandu dans cette région.
L’appellation Keblout ( corde cassée en turque) serait intervenue au 16e siècle. Les contes populaires évoquent souvent des exactions commises contre cette petite tribu, par les Janissaires du Bey de Constantine .
Mais pour les Kebaltia, le vrai drame commence le 11 mai 1842 quand le général Randon lança une expédition (la 4e après l’arrivée des français en 1830) contre les Ouled Daan-Ighmourassen de la zone de Oued Al Maïz ( rivière des Chèvres, Guelma), repoussés vers les montagnes 6 ans avant, lors de la colonisation de Guelma (Ex-Kalama la romaine) en novembre 1936.Le Mot Ighmourassen, Beni Ghoumrassen ou Yaghmourassen a curieusement disparu de toute cartographie tribale des 1858.
Utile de mentionner que la colonisation de Guelma s’est opérée à partir de Annaba, où Le Général Regny aguerri dans la culture de la Division et la Zizanie quitta ce port de l’Est à la tête de 10.000 hommes majoritairement des tribus de la plaine de Ain el Berda et Drean, pour aller attaquer la région, en leur faisant comprendre qu’il faut mettre fin aux désordre causé par « Ouled Daan et autres Kabyles lesquels ont ruiné le pays ! », repris sans changement.
En décembre 1936, une contre-attaque contre les garnisons françaises fut une échec lamentable prés du théâtre romain et sur les Rives de la rivière Seybousse. La guerre se transforma à Guelma en batailles entre Algériens, là où une confédération de tribus de la zone Ouest qui exploitait depuis des années les terres beylicales, se joignît aux troupes françaises, aveuglée par la promesse de se voir attribuer les terres, une fois le Bey de Constantine détrôné.
Le Général Clauzel en fit, en somme, une grande armée et c’est de Guelma que partit les deux expéditions sur Constantine en 1937. Florilège de l’exploit pour ces troupes d’envahisseurs, cette joie, l’extase même d’avoir pu manipuler le paysan Algérien devenu ennemi de lui même et de son pays, en faisant la guerre pour le compte des « Rouamas ». C’est juste la trahison qui a colonisé le pays, ce n’est pas la France … la trahison dites-vous ? Et bien nous y sommes aujourd’hui .
Auteur : Larbi Zouaimia
source : http://www.huffpostmaghreb.com/larbi-zouaimia/cest-la-trahison-qui-nous_b_8020262.html