Accueil > A la une > La polychromie du Palais Ahmed Bey à Constantine

La polychromie du Palais Ahmed Bey à Constantine

La polychromie du Palais Ahmed Bey, qui n’a pas encore livré tous ses secrets, permet la datation et la lecture des différents événements historiques tels que les batailles auxquelles avait pris part le Bey aux côtés du Dey d’Alger, ainsi que ses différents voyages au Moyen-Orient. Elle orne, sur plus de 2.000 m2, les murs du somptueux palais. Cette fresque constitue un authentique document de référence qui relate le récit d’un long périple du maître des lieux.

Dès son investiture, Ahmed Ben Mohamed Chérif (1786-1851), connu sous le nom de Hadj Ahmed ou Ahmed Bey fut nommé à la tête du beylik de l’Est en 1826 par le dey Hussein, entreprend l’édification du palais. Fasciné par les palais et les demeures qu’il visita en Orient, il décida de construire un ksar somptueux à Constantine, où il ne vécut pourtant que de 1835 à 1837. La construction du palais s’est étendue de 1826 à 1835. On y accède par une massive porte, constellée de clous décoratifs en laiton qui s’ouvre du côté sud de l’édifice, par la place Si El Haouès (ex-place Générale), quelques petites marches escaladées on parvient au hall tout en marbre, aux colonnades d’albâtre et aux murs revêtus de faïences mauresques.

 

Le Palais Ahmed Bey

Le Palais Ahmed Bey est un vaste édifice de 5609 m2 qui fut construit à l’emplacement de vieilles maisons accolées les unes aux autres. Ahmed Bey eut recours pour ce faire à deux illustres artisans algériens formés à Tunis et Alexandrie alors que les vitraux et les ouvrages de ferblanterie seront exécutés par des artisans de Tunis.

Le palais s’est construit en trois étape :

       – 1ére étape 1818 : La première phase concerne la démolition du dépôt dit Dar el Bechmat ou Dar el Mouna, un ancien makhzen où les janissaires conservaient leurs denrées alimentaires ; le Bey Ahmed fit planté à sa place le jardin des orangers.

       – 2ème étape 1826 : El hadj Ahmed devenu bey de Constantine, commença la construction du palais, en entourant le jardin des orangers de clôtures puis en annexant les maisons voisines, afin d’agrandir la superficie du palais.

       – 3ème étape 1830-1835 : Ahmed bey accède à la dignité de Pacha , âpres la prise d’Alger par l’armée coloniale française ; il continue alors à agrandir son palais ; de cette période, date la fondation du grand jardin dit jardin des palmiers et de tous les bâtiments qui subsistent jusqu’à présent.

 

Les bâtiments d’ordonnance assez irrégulière s’organisent autour de deux jardins spacieux et de deux cours plus petites. Au milieu se trouve le Diwan du Bey qui, éclairé de tous côtés par des fenêtres, permettait une active surveillance. Pour construire son palais, le bey, soucieux de l’originalité des ouvrages d’ornementation, chargera un commerçant génois de faire venir les matériaux nécessaires. Les colonnes et autres pièces de marbre furent achetées en Italie et transportées, par l’entremise du Génois Schiaffino, de Livourne à Bône, où les attendaient des caravanes de muletiers et de chameliers. Le bois de cèdre fut demandé aux tribus de l’Aurès et de la Kabylie. Les pierres de taille furent prélevées sur les ruines de l’antique Cirta. Le Bey réquisitionna tout ce que les principales habitations de Constantine possédaient de remarquable comme marbres, colonnes, faïences, portes et fenêtres. Le palais devint ainsi comme un musée des pièces les plus curieuses et les plus riches de la menuiserie et de la sculpture.

Les appartements du bey communiquent avec le harem et la chambre des baigneuses. Ce sont des salons mauresques, en forme de T, comprenant tous des boudoirs, qu’on appelle « maksouras ». Plus loin, vers le sud, c’est la salle du Diwân, ou d’audience, où ce dignitaire administrait les affaires de la cité. Les sous-sols, qui servaient d’écuries à l’époque ottomane, seront plus tard transformés en geôles par les Français. D’innombrables pièces garnissent l’étage. Toute la nostalgie des splendeurs orientalistes plane sur ces lieux au faste discret, où ce sultan ne vécut, avec sa suite, que deux années, de 1835 à 1837.

Tous les plafonds sont ornés de luminaires en cuivre jaune. A l’entrée à droite, nous accueille, dans une orgie florale, le grand jardin des Palmiers, distinct de l’autre, celui des Orangers, dans lequel Napoléon III avait planté un cèdre du Liban, et au milieu duquel trône une vasque de marbre avec jet d’eau.

 

Visite 360°


Cliquez sur l’image pour visiter le Palais Ahmed Bey ou cliquez sur le lien : http://yassinehamoudi.com/palaisbey.html

 

La polychromie du Palais

Au dessus des panneaux, s’esquisse une fresque étonnante qui rend compte du périple entrepris par Ahmed Bey pour arriver aux Lieux Saints de l’Islam. On peut y admirer Tunis, la Goulette, Tripoli, le port d’Alexandrie, avec des frégates toutes voiles hissées, et Le Caire, avec ses mosquées, puis, comme un livre d’images géant, la fresque se redéploie encore vers tous les murs intérieurs. Des fresques qui relatent le récit d’un long périple du maître des lieux.. Cette étonnante fresque rend compte du périple entrepris par Ahmed Bey pour arriver a La Mecque, l’on peut admirer Tunis, Tripoli, Istanbul, le port d’Alexandrie, Le Caire avec ses mosquées.

Cette décoration possède une valeur historique et esthétique exceptionnelles datant de différentes période historiques (Période pré-beylical, période beylicale du bey, une couche datant des années 1860, 1865, 1871) lit-on sur sur thèse du département d’Architecture de l’université de Tebessa en 2017/2018. élaboré par Abdi Mouhcene et Saadi Walid.

L’auteur ou les auteurs de cette décoration demeure inconnu. L’iconographie retrace des événements historiques liés à la vie spirituelle du bey et à ses périples dans différents pays, l’orient et le bassin méditerranéen, sans oublier son attachement à l’Algérie sa patrie, représentée par l’illustration des deux métropoles Alger et Constantine.

L’illustrations de cette œuvre d’art, digne des contes des Mille et Une nuits, montrent 44 étendards et drapeaux, trois mosquées, 78 espèces d’arbres, 36 voiliers, 66 frégates, de nombreuses maisons et différents types de bâtisses, simples ou surmontées de dômes, 69 minarets, 55 coupoles, 134 palmiers plusieurs expressions écrites dont 23 seulement sont lisibles, quatre espèces d’oiseaux, sept moulins à eau et à vent et quatre palais.

L’on y distingue aussi les Lieux Saints de Médine et de la Mecque ainsi que les villes de Djeddah, d’Alexandrie, d’Istanbul (reconnaissable par la Mosquée Bleue aux six minarets) d’El-Ismaïlia, d’El Qostas (Le Caire), l’île Khalki et l’île Candia sur la mer Égée. « On reconnaît également : « El-Djazaïr el-mahroussa », Alger la bien gardée ; le plan triangulaire de la ville blanche avec son port à l’extrémité duquel se situe le « bordj el-fenar », sa citadelle surmontée par une inscription « Qasba », le tombeau de Sidi Abderrahmane et enfin le bordj Moulay Hassan, tous les monuments étant surmontés du drapeau rouge d’Alger. Sous la fresque, des navires et des canons tirent des boulets sur la ville alors que les batteries situées sur les remparts de celle-ci ripostent avec force. Serait-ce l’armada de Charles-Quint, vaincue en 1541 et dont la cité tire sa gloire et le surnom de « bien gardée », ou serait-ce la flotte française qui fit un blocus de la ville de 1827 jusqu’à sa prise en 1830, ce dont le Bey fut le témoin oculaire puisqu’il participa aux combats ? » écrit Massensen Cherbi sur le site cdha.fr

 

 

Victor Barrucand (1864-1934) témoigne que : « Il y eut autrefois une tradition barbaresque de peinture à la gouache qui a laissé des images précieuses et stylisées de l’ancienne ville. Quelques-unes étaient datées et signées. La meilleure époque de cette peinture indigène est le commencement du XIXe siècle, qui fut une période de prospérité pour la Régence d’Alger». C’est à cette époque que sont réalisées les polychromies du Palais Ahmed Bey. Victor Barrucand signale un certain Hadj Youcef, chargé de le décorer.

Le diplomate Laurent-Charles Féraud (1829-1888), aquarelliste de talent, témoin, par ses dessins, de la conquête de l’Algérie, décrit la technique employée : « Quelques barbes de plumes liées au bout d’un roseau leur servaient de pinceau, et une demi-douzaine de tasses à café posées sur un réchaud (fourneau en terre) contenaient, sans cesse à l’état liquide, les couleurs à la colle dont ils avaient besoin» La valeur documentaire et artistique de sa production dessinée lui a valu d’être réunie en volume et publiée en 2010. (1)

Le peintre Horace Vernet (1789-1863) a laissé, après sa visite de 1837, cette évocatrice description : « Figurez-vous une délicieuse décoration d’opéra, tout de marbre blanc et de peintures de couleurs les plus vives, d’un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d’orangers, de myrtes… enfin un rêve des Mille et Une Nuits »

Le poète, romancier et critique d’art français Théophile Gautier (1811-1872) écrit : « Ces lions représentent quelque chef-d’œuvre d’écriture, dans lequel les noms des quatre apôtres musulmans, entrelacés (…) forment une figure de lion » symbole de force.

Guy de Maupassant, l’écrivain et journaliste littéraire français en parle en ces termes : « Mais nous voici devant le palais d’Hadj-Ahmed, un des plus complets échantillons de l’architecture arabe, dit-on. Tous les voyageurs l’ont célébré, l’ont comparé aux habitations des Mille et Une Nuits. Il n’aurait rien de remarquable si les jardins intérieurs ne lui donnaient un caractère oriental fort joli. Il faudrait un volume pour raconter les férocités, les dilapidations, toutes les infamies de celui qui l’a construit avec les matériaux précieux enlevés, arrachés aux riches demeures de la ville et des environs. »

 

 

Pour rappel, Ahmed Bey, vainqueur lors de la première bataille de Constantine (1836), est vaincu durant la une seconde expédition dont le siège débute le 10 octobre 1837 et s’achève victorieusement le 13, après un sanglant combat de rues et au prix de lourdes pertes humaines, contraint à l’exil en 1837, il se réfugie dans les Aurès et il y mène la résistance contre la colonisation française. Il est fait prisonnier en 1848 et meurt en 1851 à Alger. De 1837 à 1962, le palais est occupé par l’armée française, il servi de résidence au général commandant la division de l’état-major et abrita les services de la direction du Génie.

Il servi  d’hôpital aux troupes françaises, prend le nom d’Hôtel de la division et subit de nombreuses modifications. Il reçoit à cette époque de nombreux hôtes de marque, Horace Vernet, Guy de Maupassant un demi-siècle plus tard. Mac Mahon y tient ses quartiers, il reçoit aussi le duc de Nemours puis le prince Napoléon accompagné de sa femme Clotilde de Savoie en 1861 et le futur roi des Belges, Léopold II, en 1862. Napoléon III y fait étape lorsqu’il visite Constantine en 1865. Il plante, à cette occasion, un cèdre du Liban, toujours visible.

En 1935, il a été classé monument historique par les autorités coloniales. De 1962 à 1969 il est occupé par l’armée algérienne.

À l’indépendance du pays en 1962 le palais est le lieu de quelques manifestations culturelles, une aile de la demeure sert d’évêché à Monseigneur Scotto. De 1982 à 1986, le palais Ahmed Bey passé par plusieurs phases du restauration notamment  ou l’expertise et étude de restauration du palais élaborées est confiée à l’atelier de restauration des monuments historiques PKZ, Cracovie Pologne. De 1991 à 1998, des travaux de consolidation avec étude et suivi sont lancés d’urgence et confié à la DNC, en tant qu’entreprise de restauration et certains détails d’exécution seront confiés à plusieurs artisans. En 2008, le palais est sous la direction de la nouvelle création du ministère de la culture, l’office national de gestion et d’exploitation des biens culturels (OGEBC). Il fut ré-ouvert au public en 2010 et a été doté du décret exécutif n°10-262 correspondant au 21 octobre en 2010 portant la création du Musée national public des arts et expressions culturels traditionnels de Constantine dont le siège est fixé au palais Ahmed Bey de Constantine.

Redaction sedrata.info

 

 

 

Photos : Tarik Ouamer-Ali, 2013

 

Maquette du Palais d’Ahmed-Bey à Constantine, réalisée par l’architecte polonais Jan Bruliński en 1985. 
Le résultat : une composition de galeries à arcades finement ciselées en bois, entièrement découpées à la main.