L’été résiste en s’étirant dans la moiteur et la fraicheur des nuits courtes, annonçant l’inéluctable fin du pays de cocagne. C’est Wassou, sobriquet drôle que nos ancêtres berbères, dans leur immense sagesse, donnaient par euphémisme à cette fracassante agonie qui annonce l’automne, saison morne, maussade et néanmoins généreuse où nul ne connaît la famine. Le ciel prend une lugubre couleur sombre, tonne si fort qu’on croirait qu’il nous tombe sur la tête. Les éclairs, si intenses, éblouissants, illuminent un laps de temps le petit village paisible jusqu’aux recoins les plus ombragés. L’orage ramène une trombe violente, remplissant les oueds qui, par endroits, sortent de leurs lits. Les pluies happent dans un violent tourbillon branchages, fruits non mûrs, les arbres des vieilles maisons, objets hétéroclites laissés par la flemmardise et la nonchalance des hommes pendant l’été. Le tumulte charriant tout au passage se disperse dans l’Oued en bas du village. Les érudits de la bourgade nous ont appris que l’oued est un affluent d’une rivière qui porte le nom de Seybousse. Cette dernière traverse des contrées que beaucoup n’ont jamais visitées et rejoint en fin de parcours la mer qui sépare notre pays de celui des Roumis.
L’orage s’étant estompé soudainement, des éclaircies donnent au ciel des teintes allant du blanc craie au bleu pâle. La petite ville semble nue, débarrassée de tous ses superflus, comme expiée de ses péchés estivaux. L’automne, c’est aussi le retour des écoliers qui l’appréhendent, contrairement à la prétendue hâte de ces derniers de se trouver en face des tableaux noirs, comme le racontait la légende urbaine. Les petits marmots ne trouvaient aucun plaisir à renouer avec la routine spartiate des horaires fixes, les tabliers bien propres, l’odeur de la craie, les tables usées et gribouillées, les devoirs et tests surprises, et encore moins les maîtres austères et secs comme un jour de Ramadan, disait un écrivain de chez nous.
Tel un nid d’aigle, la bourgade en cuvette, circulaire est limitée à l’ouest par une couronne verte de pin d’Alep et à l’est par les vastes plaines fertiles qui n’ont de limite que la lointaine rencontre du firmament et les collines steppiques au-delà des terres de pâturage et d’orge, terre au passé épique qui a vu le grand Tacfarinas naître, grandir, couronner roi et résister aux occupants romains.
Le petit village semble minuscule quand on l’aborde des hauteurs par l’ouest, en serpentant une route sinueuse, taillée par endroits dans les collines ne protégeant les véhicules qui circulent cahin-caha que par un muret du précipice vertigineux. Le village à l’origine, comme la majorité des villes algériennes, est une base ou un cantonnement militaire. Des colons ayant bénéficié de terres indigènes y ont construit des maisons et différentes infrastructures pour leurs besoins. Les indigènes dépossédés de leurs terres ont fui la misère et sont venus s’installer à la lisière du noyau colonial. Le bâti colonial est urbanisé selon l’école d’Hausman, urbaniste de Paris, et de Le Corbusier. Constitué de trois rues parallèles, d’un alignement parfait. Les trottoirs délimités par une bordure de pierres taillées, les arbres d’un alignement parfait donnaient une allure qui ne rougissait guère d’une ville de la métropole française. La plèbe musulmane s’entasse dans le quartier indigène, dans de petites maisons anarchiquement construites, une sorte de Morula, accolées les unes aux autres. Les ruelles labyrinthiques se faufilent dans des méandres inextricables. Les maisons, séparées par un mur mitoyen, semblent se sentir unies face à l’adversité. Les deux cours de part et d’autre, communément appelées Haouch, sont des espaces de vie principalement féminins. Les différentes tâches ménagères y sont exécutées au rythme des saisons, lieu de causeries entre femmes. Dans un coin, des boîtes de conserves, bidons d’huile, de beurre y trouvent une seconde vie comme pots afin de faire pousser différentes plantes et herbes : coriandre, persil, basilic, persil. Un petit carré de terre où pousse un arbre, lierre, figuier, abricotier, grenadier, pêcher, treille, etc.
L’automne s’émousse progressivement entre journées ensoleillées et soirées fraîches, le gel intense brunit les visages et rend les mains squameuses. Les paysans n’attendent que les hypothétiques pluies dont leurs récoltes de graminées dépendent. Les labours et semailles terminés, les yeux sont rivés vers le ciel pour implorer la force divine d’abreuver les graines qui attendent le liquide nourricier.
Aziz Bechiri
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