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Nouvelles traces du Christianisme au pays d’Augustin par Nacera Benseddik

Cette article est une communication du Nacera Benseddik, docteur d’Etat en histoire ancienne et épigraphie, durant les journées d’étude portées sur Saint Augutin,  le 28 mars 2019, au  Centre d’études diocésain des Glycines à Alger.

 

Au pays d’Augustin (1)

A partir de Carthage où il semble d’abord être arrivé, le christianisme se répandit en Numidie puis dans les Maurétanies, avec un succès tel que, dès 256, un concile pouvait déjà rassembler à Carthage les représentants de 87 évêchés.

C’est à Thagaste (Souk Ahras, Algérie) que la chrétienté doit l’une des personnalités les plus marquantes de son histoire: Augustin. Des fouilles pratiquées en 1903 dans sa ville natale ont notamment exhumé un édifice probablement consacré, encore aux Ve et VIe siècles, au culte chrétien.

Le pays natal de l’évêque d’Hippone (Annaba) a sa place dans la géographie et l’archéologie du christianisme antique, car nombreux en sont les villes et villages à abriter des vestiges chrétiens : au sud, Taoura (Thagura –Thagora) avec son église à trois nefs, Mdaourouch (Madauros) et ses trois églises des IVe et Ve siècles, Tifech (Tipasa), où on a découvert un exagium en bronze et deux bulles en plomb dont une surmontée d’une croix latine au nom du patrice Grégoire, Khamissa (Thubursicu Numidarum) et sa chapelle byzantine et un petit édifice à abside peut-être consacré au culte chrétien, Fedj es Siouda (Vatari), enfin, au carrefour de cinq voies romaines, vers Carthage, Hippone, Cirta, Lambèse et Theueste, avec des fûts de colonnes considérés comme des débris d’église. A l’ouest, mentionnons Ksar Sbahi (Gadiaufala) et son église à trois nefs, Henchir el Hammam et ses deux églises à trois nefs dont une abritait un cippe quadrangulaire gravé d’une inscription In Christo perseueres. Pater dat pane(m) accompagnée d’un monogramme constantinien, Aïn Reggada et ses vestiges d’église accompagnés de caissons aux dédicaces martyrologiques du IVe s.

Les nouvelles découvertes de Sedrata

Les ruines d’époque romaine sont très nombreuses dans la région de Sedrata: outre les trois grandes cités de MadaurosTipasaThubursicum Numidarum, on peut voir les traces de gros bourgs un peu partout tels Ksar-Frigui, Guelaat Sidi-Yahia, Vatari, Henchir-Gourmat, Fonte Potamiano (Henchir Mechta-Bir-Bouhaouch). Sur les hauteurs comme dans les vallées, on a signalé, à l’époque coloniale, colonnes, chapiteaux, divers fragments architectoniques et pierres taillées dont beaucoup devaient provenir d’édifices du culte chrétien.

Ainsi, à Kef Rdjem, dans le Djebel Maïda, à 6 km environ, au nord du chef-lieu de commune de Sedrata, dans une région riche en stations d’art néolithique, on a gravé sur les falaises une série de monogrammes constantiniens. Des documents de l’époque romaine nous font connaître, çà et là, des cultes des montagnes, des eaux, des arbres, qui témoignent plus ou moins nettement de superstitions animistes. Un culte des hauts lieux est attesté dans le monde phénico-punique, tandis que de nombreuses dédicaces latines à un genius montis témoignent de l’importance des montagnes, que leur hauteur semble rapprocher du ciel, comme objets et lieux de culte en même temps. Au Ve apr. J.-C., Augustin reprochait à ses fidèles de toujours gravir les montagnes pour prier Dieu d’une manière supposée plus efficace. Près des sources, aussi, on a recueilli des dédicaces latines aux genii de ces lieux. Anonymes, immatériels ou enfermés dans une enveloppe très subtile, que les yeux humains ne voient pas, ces esprits, en nombre infini, ont favorisé un culte des dieux locaux. Dans un contexte peut-être encore marqué par les persécutions, des habitants prudents sont venus au Kef Rdjem témoigner de leur foi chrétienne. Augustin nous raconte qu’en Numidie « Beaucoup  souffrirent des maux de toute sorte, affrontèrent les plus cruels supplices et furent mis à mort : aussi les honore-t-on à bon droit comme martyrs ». Jusqu’à la conversion de Constantin qui lui conféra le statut de religion protégée puis officielle, l’histoire du christianisme avait été, en effet, marquée par des périodes de persécution aux conséquences durables ; le règne de l’empereur Dioclétien, par exemple, se signale par le martyre de Crispine, une chrétienne de Thagora, exécutée en 304 à Theueste (Tébessa). Il est intéressant de relever qu’aujourd’hui encore, dans les environs de Kef Rdjem, un marabout reçoit les témoignages de vénération des habitants de la région.

A Sédrata même, on a déposé, en 2002, dans la cour d’une institution municipale, un chapiteau en calcaire, endommagé à la base, sur la face antérieure duquel on a sculpté un canthare surmonté de deux colombes affrontées et encadré par deux dauphins, tête en bas, queue en haut, se raccordant habilement au tailloir et peut-être aussi aux moulures latérales (2). Le thème central, la source au milieu du Paradis, héritage oriental ancien, a symbolisé pendant des siècles l’eucharistie dans l’iconographie paléochrétienne et l’hagiographie africaine. Apparemment dépourvu d’anses et de pied, le vase est à peine reconnaissable car stylisé jusqu’à la schématisation, avec la lèvre et le fond en vue plongeante; le col, quant à lui, est un quadrilatère bordé de deux bourrelets. Oiseau de prédilection de la symbolique chrétienne, la colombe appartient aussi au registre iconographique de l’Afrique païenne, aussi bien punique que romaine, où elle évoque l’âme même. Pour les chrétiens, elle est l’âme assoiffée d’eau rafraîchissante, se nourrissant des dons de Dieu. Placée sur le rebord ou à côté d’un canthare, elle est censée s’y désaltérer: c’et le refrigerium, le “rafraîchissement”, don céleste accordé aux âmes bienheureuses. Elle est l’âme entrée au paradis, lieu “du rafraîchissement, de la lumière et de la paix”. Les dauphins, présents sur les côtés, étaient très appréciés dans l’Afrique romaine. Avant de devenir très tôt un symbole dans l’iconographie paléochrétienne, le poisson simple appartenait à la symbolique positive de la culture juive biblique et de la culture grecque. Vivant dans l’eau, véritable bénédiction divine, il était considéré comme une image du croyant tout entier plongé dans la bénédiction de Dieu. Dans l’Afrique païenne, le motif du dauphin était répandu sur les stèles puniques avant d’être repris sur nombre de monuments romains, notamment sur des stèles à Saturne où il a revêtu une double signification agraire et eschatologique; aussi, le retrouve-t-on, dès cette époque, associé à la colombe. Ce fut tout naturellement que le christianisme primitif vit en ce mammifère marin l’image même du sauveur: l’Ichthus (poisson en grec) ou Iesous Christos Theou Uios Soter (Jésus Christ, Fils de Dieu et Sauveur). Inscriptions, mosaïques, fresques, sculptures dans les basiliques, nécropoles, catacombes, lampes, bijoux et amulettes reproduisent désormais le “poisson” tantôt seul, tantôt par paire, accosté ou encadrant d’autres symboles chrétiens. Le dauphin symbolise donc le baptême et l’eucharistie.

Un atelier de sculpture local ?

Ce chapiteau, qui couronnait très vraisemblablement un pilastre d’une église des environs, doit son originalité à une composition iconographique rare sur ce type de support et à une technique non encore attestée. En effet, si la forme du canthare se réduit à des lignes en relief comme sur les pilastres d’Oued Ghzel et d’Aquae Flauianae (Hr Hammam, près de Khenchela), le volume est ici bien plus important, de véritables boudins marquant les contours de l’objet. On y a combiné la stylisation très poussée des pilastres ci-dessus cités et un modelé qui rappelle les œuvres de Tébessa sans les égaler; la simplification extrême des figures et le souci de la symétrie, remarquables sur le chapiteau de Sedrata, caractérisent aussi bien les productions de Theueste que celles de Mascula, mais la technique l’apparente plus aux premières qu’à celles de Mascula où le décor est plus plat. En ce début de Ve siècle, époque où la sculpture architecturale de la région était dominée par les “écoles” de Theueste et de Sufetula (Sbeitla, Tunisie), le chapiteau semble bien avoir été exécuté dans un atelier local produisant pour des commanditaires locaux en réélaborant des modèles créés par l’une ou l’autre de ces “écoles”.

Nacera Benseddik
Archéologue, docteur d’Etat en histoire ancienne et épigraphie

 

(1) : N. Benseddik, Thagaste-Souk Ahras, Patrie de saint Augustin, Alger 2005. Id., Thagaste-Souk Ahras, Patria di Sant’Agostino, Ortacesus 2010.

(2) : N. Benseddik, Au pays d’Augustin. Nouvelles traces du christianisme antique, L’Africa romana. Atti del XIX Convegno di studio, Sassari 2010, Rome 2012, p. 1109-1122.