Afin d’arbitrer les dissensions entre deux familles indigènes de la région (les Rezgui et les El Hessenaoui) un détachement de troupes françaises vient installer un camps, en 1843, à proximité d’un important marché. L’emplacement se situe à 100 km au sud de Bône sur un plateau mamelonné aux premiers contreforts des Hauts Plateaux. Les militaires ayant pour mission de contrôler les routes de pénétration vers la Tunisie et Tebessa dont le général Négrier vient de prendre possession.
Les indigènes le dénomment « Souk Ahras » qui peut signifier « Marché du bruit ». A moins que ce ne soit la corruption du mot Thagaste prononcé à la manière arabe. De nombreuses ruines romaines vont apporter des précisions sur cette ancienne cité et un olivier majestueux se dresse tout près d’un Bordj, seule modeste construction en dur de l’endroit. Elle appartient au Cheik des Hanenchas qui est le chef de la tribu indigène. Les services du Génie y érigent , en 1851-52, un immeuble important qui recevra les assauts de tribus insurgées des environs durant le mois de Juin.
Une annexe permanente dépendant de la Subdivision de Bône y sera enfin créée en 1853. C’est le colonel de Tourville qui établira le plan du futur centre qui deviendra bien vite une agglomération d’habitations avec l’arrivée de nombreuses familles d’agriculteurs et de commerçants. En 1855 ce centre de population sera érigé en Cercle de Souk Ahras.
Le capitaine Lewal, qui commande le Cercle en 1856, trouvera des inscriptions latines dont la traduction ne laisse aucun doute sur l’emplacement où s’érige la cité. Placée sur la voie romaine qui mène d’Hippo-Régius, le plus grand marché d’Afrique, à Théveste ou Civitas Thevestinorum des romains dont la fondation remonte à 72 avant J.C. Ces inscriptions révèlent le « don fait par Amullus, fils de Marcus à l’Illustre Corps Municipal de~ Thagaste ». D’autres découvertes viendront confirmer que l’on se trouve bien sur les lieux de naissance de ce grand Saint d’Afrique qu’était St Augustin qui y naîtra le 13 novembre 354. Il était le fils de Patricius, Splendidissimus Ordo Thagastensis et de Monique dont les parents étaient Chrétiens Catholiques.
Ce n’est que le 15 septembre 1858 que l’Empereur Napoléon III officialisera la création de ce centre de population européenne qui portera le nom de Souk Ahras. Après avoir gravi les contreforts de la ligne Nord des Hauts Plateaux et atteint le point culminant à 778 m d’altitude au PK 99, on descend vers le sud où l’on trouve le centre de population à 7 km à l’altitude de 675 m. Le sud du territoire est traversé par la Medjerdah, le Bagrada des Romains, affluent de l’Oued Mellégue qui va se jeter à Porto Farina entre Bizerte et Tunis.
Le territoire aura une superficie de 4 638 hectares et comprendra 44065 habitants en 1855. Ses limites seront comprises entre la frontière Tunisienne qui est à 60 km à l’Est, le Cercle de Tébessa au Sud jusqu’à l’Oued Mellègue, les Cercles de Bône et de la Calle au Nord, enfin les Cercles de Guelma et Aïn Beïda à l’Ouest.
Des terres irrigables sont propices à l’agriculture et à l’élevage des bestiaux. Les forêts de Chênes lièges et chênes Zeen couvrent les versants Nord tandis des plantations de sapins boisent l’horizon Sud depuis la rive droite de la Madjerdah jusqu’à l’Oued Mellègue. Les montagnes les plus importantes des environs sont : au Nord, le Djebel Meïd 1410 m sur les versants duquel se trouvent les sources thermales de Hammam Ouled Zeïd eau sulfureuse à 32° et Hammam Tassa à 16 km au S.E., 43°. Un peu plus loin Hamman Ouled Messaoud 45° à 47°. Au sud et au delà de la Medjerdah, le Djebel Zarouria dont la neige chaque année couvre les cîmes. -Deux sources abondantes sont découvertes sur les lieux. Aïn Zerga, (la Fontaine Bleue) et Aïn Mallab Sioud source où dit-on » les Lions venaient jouer ». Cette dernière source sera détournée avec l’agrandissement de l’agglomération. l’Hôtel de Ville L’administration civile.
Le 1er Commandant Supérieur sera le Capitaine Fauvelle, qui décédera des suites d’un accident de cheval le 3 septembre 1856. L’Etat Civil va fonctionner dès 1856 et le 1er officier, le capitaine Baumelle pourra enregistrer les naissances de cinq filles et quatre garçons dont la première sera Sophie Wendt fille d’un artisan maçon. Déjà en 1853, l’autorité militaire avait enrigistré la naissance de Louis Flamencourt qui aura pour pseudonyme « Souk Ahras ». Les premières familles qui s’installent auront pour noms : Toussaint Clada, Fontenelle, Guelpa, Martel, Rouquette, Buruat, Arroué. Flamencourt, Guasco, Borie, Gibelli, Poutous… et bien d’autres. Le centre urbain compte 2142 habitants dont 1120 Européens, 884 Musulmans et 138 Israélites.
Citation de Saint Augustin fils de Thagaste
Le 16 octobre 1858 le Commissaire Civil remplissant les fonctions d’Officier d’Etat Civil sera Mr Fournier. Il sera remplacé le 5 novembre 1859 par Mr Seguy Villavaleix secrétaire de la Sous-Préfecture de Guelma qui verra la nomination officielle à ce poste de Mr Cacault fin novembre de la même année. Le 22 août 1861 un décret Impérial érige le centre en Commune de plein exercice avec pour Annexe Medjez-Sfa. Le Commissaire Civil faisant fonction de Maire avec pour Adjoints Mrs Michel Deyron pour Souk Ahras et Homberger Jean pour Medjez-Sfa. Nous relèverons les noms des Conseillers Municipaux : Mrs Clada, Guasco, Millet, Sauvage, Mondon. Au titre Musulman : Mézian ben Mohamed ; au titre étranger Kaiser : titre; Israélite : Narboni.
La suppression du commissariat civil va laisser la commune sans maire. Les élections auront lieu les 26 mai et 2 juin 1867. C’est l’adjoint, Michel Deyron, qui remplira ces fonctions jusqu’à la nomination, le 14 novembre 1867, de Mr Pergault comme maire. Ce n’est que le 20 septembre 1870 que Mr Michel Deyron sera enfin le premier magistrat de la commune. En 1871 Mr Borget puis Valdaironde 1872 à 1874. Noël Guasco jusqu’en 1886 remplacé par Laurent Roses auquel succèdera en 1897 Charles Laborie puis le Dr Clada de 1899 à 1919 et Mr Léon Deyron qui sera également, comme le Dr Clada Conseiller Général du Canton. Il n’existait pas à proprement parler de quartier Arabe dans la ville de Souk Ahras. Bâtie de toutes pièces par les Colons Européens les arabes se logeaient dans des maisons européennes qu’ils transformaient et aménageaient à leur gré et à leur manière de vivre. Si ce n’étaient, quelques dômes de Koubas qui dépassaient de ci de là quelques toitures on pourrait se croire transporté dans une petite ville des montagnes de France. Des bains maures décèlent leur existence par les plaques de marbres ou des carreaux de faïences.
Oued Kebarit, gisement de Djebel Kouif
Au jour de marché, européens et indigènes sont mélés parmi les burnous accourus des quatre points de la région pour acheter ou vendre les milles produits dont ils ont besoin pour leurs usages. Les montagnes environnante renferment de nombreuse richesses minières : gisements Zincifère, calamine, galène, blende.
A Tarja, à 4 km de la route de Ghardimaou ainsi qu’a Dekma se trouvent des phosphates découverts par M Weterlé, les premiers exploités en Algérie. mais ce sont surtout les mines de fer hématite du Djebel Ouen et du Bou Kadra ainsi que les phosphates du Djebel Kouif qui donneront à la ville de Souk Ahras son nouvel essor.
Du quadrilatère qui enfermait la ville jusqu’en 1870, des faubourgs importants, St Charles, de Constantine et de la Gare libèreront les constructions urbaines et développeront son agrandissement malgré l’insurrection des Spahis d’Aïn Guettar et du Caïd Kablouti, après la défaite de Sedan, en janvier 1871. La place de la Fontaine qui était traversée par la rue de Bône sera unifiée et agrandie pour devenir la Place Thagaste que nous avons connue. La rue de Bône deviendra la rue Victor Hugo, le Cours Bertagna des Souk Ahrassiens et Souk Ahrassiennes. Le ravin de l’Oued Trab sera comblé pour devenir l’Avenue Sadi Carnot bordée de Tilleuls menant à la gare. Le village nègre disparaîtra pour faire place à la jonction du faubourg Constanville avec les constructions urbaines, les Ecoles et le jardin public. A l’emplacement des bureaux arabes sera installée l’Administration de la Commune Mixte à proximité du Commandant d’Armes. La Mosquée, qui n’avait pas subi de transformation depuis 1857 sera agrandie. Le Marabout de Sidi Messaoud érigé par les soins de Si El Hadj Chaffaï près de la poudrière et de l’Olivier de St Augustin.
La fin des travaux de l’hôpital militaire en 1880 après quatre années. La construction du Marché aux légumes et de la Halle aux grains qui reçoit 200 000 quintaux de grains par an. L’hôtel de Ville, le plus joli bâtiment de la région dont les travaux finiront en 1887. Une église moderne va remplacer l’ancienne église dont les cloches avaient été offertes, pour être fondues, au gouvernement de la Défense Nationale en décembre 1870. La Basilique de St Augustin, tel est le nom de l’Eglise, est inaugurée les 12 et 13 novembre 1930 par Mgr Leynaud archevêque d’Alger et Mr Charles Pienelli, Président du Comité d’Agrandissement. Le chanoine Garzia curé de la paroisse qui prit l’initiative du projet y repose pour l’éternité dans une crypte de cette Basilique (transformée en Mosquée en 1962). La ville reçoit l’électricité en 1906. Importance du chemin de fer. En 1877 le prolongement de la ligne de chemin de fer de Duvivier à Souk Ahras est attribuée à la Compagnie du Bône-Guelma.
Le 30 juin 1881 les premiers trains, à voie normale, arrivent à Souk Ahras. Un dépôt de locomotives à vapeur y est créé. En 1920 le Dépôt comptait 20 machines Schneider 150 C (Décapod), suivi de 10 unités en 1921 principalement pour les trains de marchandises et de minerais. Deux années plus tard 15 unités du Type 241 (Mountain) furent ajoutées pour les voyageurs et trains mixtes. La vitesse de ces dernières était de 80 km heure (tout comme en France Métropolitaine) pour 300 T de charge en rampe de 14 m/m par mètre. La totalité des décapods et des Mountains était affectuée à la section de ligne Duvivier – Oued-Kébérit soit 120 km. La section de Duvivier à Souk-Ahras. 52 km, comprenait cinq tunnels dont l’ un de 756 mètres et s’élevait à 760 m d’altitude avec des rampes de 26 m/m par mètres. De Souk Ahras à Oued-Kébérit la ligne est moins accidentée mais comprend cependant des rampes de 20 m/m par mètre jusqu’à Montesquieu-M’ Daourouch et des déclivités de 16 m/m jusqu’à Oued-Kébérit. Compte tenu de ces profils de ligne les trains de minerai de 720 T nécessitaient la double traction au départ de la gare des Tuileries jusqu’à Souk Ahras puis un renfort en queue de train de Souk Ahras au point culminant PK 99. Malgré ces difficultés de profils de montagne il sera écoulé en 1928, 776 000 T de minerai de fer et 676 000 T de phosphates sur une ligne au trafic de voie unique. A savoir également que dans un premier temps les transbordements de phosphates s’effectuaient à Souk Ahras puis à Oued-Kébérit après la mise en voie normale de Souk Ahras à cette dernière gare.
Le centenaire de la conquête de l’Algérie va permettre l’électrification de cette ligne minière qui sera la première et la seule en Algérie. La priorité en sera donnée à la section de Duvivier à Oued Kébérit dont les travaux débuteront en 1928 puis en mai 1929 pour ceux de de Duvivier à Bône. Les premières machines électriques furent livrées au dépôt dès 1930. Trente loco de type CC (six moteurs répartis en deux bogis) réalisées par les Constructions Électriques de France et la Sté Alsthom pour l’appareillage électrique, et Thomson Houston pour les boggis et moteurs de traction assimilables aux locos PLM de la Maurienne. Les moteurs de traction avaient une puissance de 340 ch chacun. Une génératrice à tension variable assurait l’excitation des moteurs dans les fortes déclivités pour la récupération du courant qui était renvoyé à la ligne caténaire de 3 000 volts. D’un poids de 115 T elles remorquaient des rames de 960 tonnes, avec un renfort en queue, de les Tuilleries au PK 99. D’une puissance de 2040 cv , elles acheminaient de Duvivier à Bône des trains de 2480 t pour une seule machine. Deux locomotives électriques types BB seront affectées aux services voyageurs ainsi que des Diesels Baldwin pour les trains de Souk-Ahras à Ghardimaou. En 1958 huit nouvelles machines électriques de 3 120 ch de type CC 7100 furent livrées à Souk Ahras. Les transports ferroviaires et l’agriculture assureront la vie et le développement de la cité.
Le 21 janvier 1921 est inauguré le Monument aux Morts. Une colonne de 12 mètres de haut posée sur un socle de marbre de Carrare porte les 387 noms des enfants de Souk Ahras, Français et Musulmans, morts pour leur patrie. la France. Un chapiteau et un globe, au sommet duquel, un Splendide Coq Gaulois en bronze doré déployant ses ailes, surmontent la colonne. Une plaque de marbre y sera ajoutée commémorant la Bataille de Souk Ahras du 27 avril au 6 mai 1958. Le Chateau d’Eau de 1300 m3 sera agrandi et porté à 5600 m3 à partir de 1939 et terminé en 1941. Le Groupe Scolaire inauguré en 1933 comprend 16 classes pour garçons et 13 pour les filles dont une réservée aux fillettes indigènes. L’école maternelle comprend 5 classes.
Monuments aux morts et marché aux grains.
En 1936 un avion sanitaire est affecté à l’Aéro-club créé en 1933 à l’initiative de Mrs Lucien Scalone et Lucien Camilleri. Un stade aux dimensions réglementaires sera créé par Mr Jean Millet.Il permettra les rencontres sportives, concours de gymnastiques et autres sports. Le stade deviendra municipal en 1940. Les courses de chevaux ont lieu dès 1877. En 1912 c’est sur le terrain de l’hippodrome de Ras el Ma, à 2 km de la ville, qu’aura lieu la Semaine de l’Aviation. La plus importante société s portive fut l’Avant Garde de Souk Ahras. Elle regroupait plusieurs disciplines, gyrnnastiques, tennis, football, boxe, cyclisme. Deux clubs de foothall le Sporting Club et la jeunesse Sportive des Cheminots se livreront à des compétitions acharnées tout au long des saisons. Société de Chasse et de Boules réunissent les dimanches de nombreux Memrod ou des passionnés du Culte de Fanny. Les Sapeurs Pompiers succéderont à la Milice créée depuis le Ier février 1859. La salle des têtes est inaugurée le 8 avril 1928 et le Théâtre le 19 Mai 1931. II coinprend 670 places assises, toutes de face.
La ville était appelée à un nouvel essor avec l’ouverture de l’exploitation des Phosphates du Djebel Onk quand les » évènements » s’abattront sur cette cité berceau du grand Saint Augustin qui y vit le jour et viendra finir sa vie à Hippone dont il lut Évêque le 28 août 430.
La devise, en latin, inscrite sur la banderole qui traverse le blason de Souk Ahras porte « Labuntur Anni. Illa Viret » ce qui peut se traduire par » Passent les années, lui est vigoureux » exprimant la vigueur de l’olivier , qui, comme le Phénix peut revivre de ses cendres. L’arbre légendaire, contemporain du grand Saint, figure dans le blason surmontant la Mitre et la Crosse de l’Evêque d’ Hippone.
Eugène Warion
Source : Revue pnha n°53 janvier 1995