Fidèle à sa contribution en espèces au profit de l’ALN, dans la discrétion totale ; l’intermédiaire qui assumait cette mission décède suite à un guet-apens planifié par les services secrets français. La liste nominative de tous les participants, y compris le nom d’Azzag Ammar, se trouve désormais sur le lieu de l’embuscade.
Prévenu de cette situation dangereuse et connaissant les réactions du sanguinaire Gero, notre homme habile, d’une force entraînante, réaliste dans ses démarches, invite des membres de sa famille, des amis intimes et des hauts responsables du village à festoyer dans sa villa de l’avenue du 8 mai 45. Il crée ainsi un décor flambant, luxueux et convivial, où rien n’est laissé au hasard…
Gero, qui épie depuis longtemps cette occasion, se réjouit de cette invitation tout en préparant un escadron chargé d’assiéger l’endroit en question.
Autour de la table ornée de toutes les couleurs, Gero dit à Ammar : « Nous sommes tous persuadés de la richesse avec laquelle tu peux même acheter de l’armement lourd voire des avions de chasse pour les fellagas. Mais en tournant le dos à la France de cette manière, cela constitue une atteinte à la sûreté d’état, punie sévèrement par la loi ! »
Ammar digère l’affront, répond par longanimité et concilie l’entourage en répliquant de la sorte : « Il est de notre stratégie et devoir de participer à ces contributions pour éviter à la France l’effondrement de son économie ; c’est un choix judicieux que j’assume pleinement au profit de l’intérêt général de la patrie« .
Déchaîné, Gero, profondément froissé, tente de l’accuser une seconde fois en supportant difficilement sa défaite. Laissant Gero en déconfit, mortifié, Ammar s’en prend à lui en lui disant : « Voici ton butin, il est sous la table, prends-le ! Tu dois aussi savoir que la même somme d’argent est versée dans la caisse des combattants Algériens pour freiner l’embrasement des champs et fermes des colons pendant la période des hautes moissons. » Ainsi, Ammar sort indemne de cette aventure à hauts risques. Cet événement date de l’année 1960.
Les forts témoignages de nos parents proches de cette personne confirment que si Ammar Azzag, le riche terrien de père en fils, possède des qualités particulières liées au terroir, un caractère circonspect, précautionneux parfois et d’une sagacité digne d’un talent de manager de son époque, spécialisé dans son vaste domaine d’agriculteur assidu.
De Mouche, ingénieur en agronomie, maire de Sedrata en 1958, soutient fortement toutes les propositions préconisées par si Ammar et éprouve beaucoup de respect à son égard. Son ami finit par être limogé par la loi française suite à un meurtre commis sur un cultivateur Sédrati. Considéré comme un ami de l’Algérie par son soutien à la noble cause, il devient directeur de la SAP de Annaba jusqu’à 1970, date à laquelle, il quitte l’Algérie pour la France.
Ammar Azzag, en stature d’homme posé, d’une élégance excessive, toujours dans ses habits traditionnels : gandoura ornée de tresses et de galons, une tarbouche drapée d’un turban blanc éclatant le long de son cou, un pantalon dit boudhra3, un gilet en vogue et un fameux brillant soulier noir, tous portés en toutes occasions. On le voit assis dans sa chaise en paille devant sa résidence principale en face des Azouaou à 150 mètres du siège de l’unique notaire français, dont le local demeure barricadé depuis sa concession au profit des propriétaires Rehalia.
De 1956 à 1958, en pleine guerre de libération, il s’occupe de la mobilisation des jeunes de la région, aussi de l’achat des armes au profit de la révolution et contribue même à libérer quelques prisonniers détenus dans les geôles de l’hégémonie coloniale. Il est nommé en qualité de président de la SIP/SAP de Sedrata de 1959 à 1962.
L’amour du travail de la terre réconforte Ammar et lui permet de prendre des décisions hardies quant à l’achat surtout des fermes de colons à l’image de cette transaction qui l’oppose au fermier Laveste où il finit par s’y emparer en bonne forme tactiquement en se disposant d’un coup, des finances nécessaires (vers la fin de l’année 1945).
De par son esprit pratique d’homme connaisseur du terrain, il réalise des exploits prodigieux en matière de récolte du blé tendre, dur et de la farine tout en imposant son savoir-faire. En 1940, la rivalité qui consiste à élire un représentant parmi les autochtones au niveau de la chambre du conseil général des agriculteurs de la région s’est soldée par la victoire d’el hadj Ammar Azzag au détriment d’el hadj Tahar Bechichi de M’daourouch. Un accord de principe qui consiste en l’achat du foncier sur le territoire où chacun réside, est conclu entre les 3 grands terriens en l’occurrence Ammar Azzag de Sedrata, Tahar Bechichi de M’daourouch et Mouhata Benaaboud de la source blanche, Ain el beida.
En 1932, il est le premier à proposer la création de la mosquée el 3atik de son vrai nom djemaa el djoumaa. Mohamed a appris par cœur les 60 versets à l’école coranique ; en autodidacte, il manipule un bon français.
Soldat de carrière au pays du soleil levant de 1914 à 1926, il participe à la 1ère guerre mondiale où plus de 400 Sedrati périssent sous les feux de la rampe germanique. Un courage exemplaire, cordial, réellement serviable, une maîtrise des situations et une détermination sans équivoque résument le parcours du regretté qui s’est éteint à l’âge de 84 ans à Sedrata.
Adjib Benzerara